Monday, 29 March 2021

Les débuts d’un déchainement de violences et l’intervention de la France…

Dans toutes les violences de masse, le passage à l’acte est certes précédé d’une phase de radicalisation et de préparatifs frénétiques, mais la mise en œuvre d’un génocide est avant tout conditionnée par l’état de guerre et l’installation d’un régime totalitaire s’appuyant sur un parti unique contrôlant les ministères de force, les  milices paramilitaires, l’administration et les médias. Les événements survenus au Rwanda au printemps 1994 ne font pas exception à ce schéma lugubre. En effet, le génocide des Tutsi au Rwanda s’est déroulé du 7 avril 1994 au 17 juillet 1994. Il s’inscrit historiquement dans un projet génocidaire latent depuis plusieurs décennies, à travers plusieurs phases de massacres de masse et stratégiquement dans le refus du noyau dur de l’État rwandais de réintégrer les exilés tutsi, victimes de la guerre civile rwandaise de 1990-1993. Cette guerre, débutée en 1990, opposait le gouvernement rwandais, constitué de Hutu, au Front patriotique rwandais (FPR), accusé par les autorités de vouloir imposer, par la prise du pouvoir, le retour des Tutsi exilés dans leur pays. 

 

 

Ce rapport présenté ici a été rédigé et adopté par l’ensemble de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, met en exergue l’étude du processus de radicalisation en œuvre au Rwanda  entre 1990 et 1993. Ces lignes que nous allons traverser, couvrent la période du 6 avril au 15  juin 1994. En effet, dans cette étude, nous pouvons  voir des parties qui ont mobilisé des archives politiques, diplomatiques, militaires, audiovisuelles et journalistiques qui documentent cette période essentielle où la France se retrouve face à l’accomplissement du génocide des Tutsi. Nous verrons comment la France a réagi au déchaînement de violences qui embrasent Kigali et le Rwanda au lendemain de l’attentat qui a coûté la vie au président Habyarimana. 

Cet attentat est perçu comme l’acte qui a déclenché le génocide des Tutsi et l’élimination de plusieurs membres du gouvernement et de  l’opposition démocratique. Sans minimiser l’impact de cet attentat, dont nous examinons ici les multiples hypothèses concernant les auteurs, nous avons surtout envisagé d’étudier les réactions qu’il a suscitées en France, compte tenu du fait que le président défunt était l’interlocuteur privilégié des autorités françaises et la clef de voûte de la stratégie  de réconciliation imposée par Paris. La disparition du président rwandais a-t-elle remis en cause la pensée dominante des élites parisiennes ? La France a-t-elle adopté sans réserve la formation d’un Gouvernement  intérimaire rwandais (GIR), alors que celui-ci était formé des membres les plus radicaux du MRND, le parti présidentiel ?

 

Parmi les autres questions soulevées, la mise sur pied de l’opération Amaryllis d’évacuation des ressortissants français présents au Rwanda a retenu notre attention : déclenchée au lendemain de la découverte du meurtre de deux gendarmes français, elle met en contact direct les militaires français avec l’atrocité des meurtres de masse qui se produisent sous leurs yeux. Plus généralement, ce chapitre interroge les échanges épistolaires entre Kigali et Paris pour dégager les grandes lignes de la position française, autour de la volonté ou non de garder une présence militaire au Rwanda après la fermeture de l’ambassade de France. Il examine également les raisons qui poussent Paris à assurer l’évacuation de la parentèle du président Habyarimana. Il analyse enfin la perception, dans les sphères du pouvoir, du génocide qui a commencé. Autrement dit, nous avons essayé de traduire l’assourdissant silence, les interprétations euphémistiques observées dans les dépêches qui remontent vers Paris concernant les meurtres de masse. L’évolution de la situation militaire semble du reste avoir plus préoccupé les Français que les massacres attribués à des pratiques locales récurrentes. Le départ des derniers militaires français, le 14 avril, tarit les sources d’information sur le génocide, des journalistes francophones assurant néanmoins un remarquable travail d’enquête suivi en haut lieu. 

 

La dimension universelle de l’extermination des Tutsi a suscité une réaction des instances internationales que nous examinons ensuite à la lumière des sources diplomatiques françaises. Cela donne l’occasion de préciser les positions adoptées par la France au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Sont concernées la question du maintien ou du désengagement de la MINUAR, et plus précisément celle de l’inaction, parfois proche de l’indifférence, qui caractérise les membres du Conseil de sécurité. Une section est du reste consacrée à l’évolution, qui n’est pas sans intérêt, de la position française sur la scène internationale au cours du printemps 1994. Le dernier point abordé dans ce chapitre fait transition avec le suivant et tente d’expliquer la genèse de l’opération Turquoise.

 

 

la France face à la radicalisation des cercles du pouvoir

 

 

Le passage à l’acte dans les violences de masse est précédé de phases de radicalisation qui se traduisent par un discours visant à stigmatiser toujours plus un groupe identifié comme « ennemi intérieur ». Ce phénomène peut être plus ou moins rapide, mais se caractérise souvent par l’émergence d’une minorité agissante qui se pose en interlocuteur crédible du pouvoir en place, auquel elle est plus ou moins associée. Dans le cas du Rwanda des années 1990-1994, une radicalisation est perceptible dès le début des années 1990 au sein même du parti unique MRND, officiellement incarné par le chef de l’État, le président Habyarimana. Elle est cependant restée minoritaire au sein même du parti dominant, empêchant tout passage à l’acte. Nombre d’observateurs ont noté que le président Habyarimana a longtemps maintenu un équilibre au sein de son parti entre les extrémistes et les moins radicaux. Sans rejeter aucune option, il a surtout cherché à conserver ses prérogatives, en ne faisant que les concessions minimales aux uns et aux autres. L’instauration du multipartisme, qui a donné naissance à une opposition libérale, de même que le début du dialogue avec l’opposition tutsi ont certes rogné son pouvoir personnel, mais lui ont aussi permis de donner une image d’ouverture susceptible de nourrir sa crédibilité internationale. Ce faisant, il a sans doute contribué à dissimuler une partie du programme d’élimination des Tutsi du Rwanda porté par une frange du MRND. Le processus de radicalisation est d’autant plus important qu’il constitue l’étape préalable à la mise en œuvre d’un génocide, celle de la maturation d’un projet par les plus extrémistes. Pour répondre aux exigences du présent rapport, il est donc indispensable d’examiner le niveau de connaissance dont disposaient les autorités françaises et leur manière de répondre aux alertes envoyées par les attachés de Défense, les membres de la DRM et les diplomates présents à Kigali. 

 

L’identification du Clan du Nord

 

La collecte des informations de terrain assurée par l’attaché de défense à l’ambassade de Kigali constitue un premier niveau susceptible de montrer la qualité du renseignement remontant vers Paris. Le colonel René Galinié, qui est resté en poste durant trois ans, jusqu’en juillet 1991, a très tôt identifié l’évolution du régime du président Habyarimana. Son rapport annuel au chef d’état-major, envoyé le 15 janvier 1991, note tout d’abord que le président est de plus en plus enclin à subir le contrôle du clan de son épouse, celui-là même qui sera en avril 1994 le noyau le plus radical. Ce même clan du Nord, au sein duquel se recrute l’essentiel des officiers des FAR et des cadres politiques, contrôle l’État comme l’économie du pays depuis sa prise du pouvoir en 1973. L’offensive menée depuis l’Ouganda par les forces du FPR au début du mois d’octobre 1990 a en quelque sorte secoué les cercles du pouvoir à Kigali et encouragé du même coup l’opposition rwandaise à relever la tête. Outre ces premiers affrontements entre le FPR et les FAR, l’usure du pouvoir, la crise économique et politique, remettent en cause la mainmise du Clan du Nord et provoquent par conséquent une radicalisation de ses membres. La DRM transmet à plusieurs reprises des analyses qui confirment qu’on en est conscient, à Paris.

 

La création d’une organisation secrète qui structure la frange la plus radicale du Clan du Nord semble en revanche échapper aux autorités françaises. En 1991, un noyau dur du Clan du Nord s’organise pour former l’« akazu 3» ou « Réseau Zéro ». Ce n’est qu’au mois de septembre 1994 que la DGSE en décrit l’existence et le fonctionnement, en se fondant sur les révélations faites en 1993 par le procureur de Kigali, Alphonse Nkubito, à la commission d’enquête de la Fédération internationale des droits de l’homme. Le Réseau Zéro est « constitué de radicaux hutu, originaires du nord, civils et militaires, proches de la famille présidentielle et opposés à toute évolution démocratique au Rwanda. » Ses membres ont pour objectif de saboter le processus de démocratisation et organisent à cette fin, au moyen d’« escadrons de la mort », des assassinats politiques et des massacres destinés à renforcer les haines ethniques. 

 

La France face au chaos politique du Rwanda

 

 L’annonce de l’attentat contre l’avion présidentiel provoque dans un premier temps au Rwanda un moment de stupeur, de flottement, qui ne dure pas longtemps. Le crash entraîne en quelques heures la reprise générale et l’exacerbation paroxystique de toutes les hostilités politiques, militaires, sociales et «  ethno-raciales  » qui déchiraient le pays depuis des années. Comment les autorités françaises, fortement impliquées depuis plus de trois ans dans la « question rwandaise », réagissent-elles au drame qui est en train de naître et se développer sous leurs yeux ?

 

Une note de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) tente le 7 avril, de dresser un tableau des premiers événements chaotiques qui ont succédé à l’attentat contre le président rwandais : La situation à Kigali s’est révélée très confuse dans les 2 heures qui ont suivi la mort des présidents Habyarimana et Ntaryamira, le 6 avril 1994 vers 21 h, en raison du choc causé par la nouvelle, ainsi qu’un certain flottement observé au niveau du commandement des forces gouvernementales. La Garde présidentielle a immédiatement bloqué tous les accès principaux de la capitale et le général Dallaire, commandant de la MINUAR ( mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda), a donné l’ordre de quadrupler les patrouilles dans la ville en coordination avec la Garde nationale rwandaise. 

Le calme serait revenu vers minuit, la population préférant rester chez elle, de crainte de nouvelles violences. Des tirs à l’arme légère, mais aussi au canon, ont été enregistrés, à l’aube en provenance du camp militaire de Kacyru à 3 km au Nord de Kigali. Ces tirs visaient les bâtiments du CND, où stationnent toujours la délégation politique du FPR ainsi que son bataillon de protection. La garde du cantonnement du FPR est assurée par une unité de la MINUAR. Au même moment, des éléments de la Garde présidentielle, postés à la périphérie de la ville montraient à l’égard de l’unité d’escorte du Premier ministre, fournie par la MINUAR, une grande animosité […]. Selon les militaires belges qui surveillaient le cantonnement du bataillon de protection du FPR, aucun tir n’aurait été enregistré sur place, impliquant la responsabilité directe du FPR. En revanche, il a été observé au cours de la nuit un problème de coordination et d’unité de commandement au sein des forces gouvernementales, ainsi que les dissensions entre les unités des FAR et de la Garde nationale.

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